[Shrinking the Technosphere, Part VII]
Vous avez survécu à votre premier hiver sur votre terre. Félicitations à vous ! Le pire moment de l’épreuve est très probablement derrière vous. Vous en avez fini avec toutes les dépendances et les attentes qui vous avaient accompagnées jusqu’ici, que ce soit l’accès à Internet ou le café. Votre nouveau monde se compose de peu de gens autour de vous, et d’une grande quantité de plantes et d’animaux. Mais c’est un monde qui est le vôtre, pour en tirer le meilleur et le transmettre à vos enfants et petits-enfants.
Au début, certains éléments de la technologie non proche de la nature vont persister. Mais les saisons passant, dans votre monde retrouvé, vous n’aurez plus à disposition l’électricité ou l’électronique, les matériaux synthétiques ou les tissus, les moteurs thermiques (plus de moteurs hors-bord, de moto-neiges ou de tronçonneuses). Les armes à feu, les produits pharmaceutiques de synthèse, la biotechnologie et bien d’autres vont tranquillement disparaître de votre mémoire.
En lieu et place de ces gadgets, il y aura des livres : le vaporetto qui fait le tour des colonies riveraines, passant exactement une fois par an, au milieu de l’été, et qui contient une bibliothèque de prêts, déposant les livres d’un été et ramassant ceux de la prochaine saison. Il distribue également un ensemble de manuels mis à disposition par le gouvernement : les langues et la littérature, les mathématiques, la botanique, la biologie, la chimie, la physique, la géographie et la géologie. Certains manuels n’ont pas changé depuis de nombreuses générations ; après tout, il y a eu très peu de choses nouvelles qui pourraient vous être utiles. D’autres auront besoin d’une mise à jour ou deux ; le manuel de géographie ne mentionnera plus des pays tels que le Bangladesh, les îles Kiribati ou des États américains comme la Louisiane et la Floride, qui n’en ont plus pour très longtemps. De nombreux États défaillants, avec des populations morbides et des frontières non défendues vont progressivement disparaître.
Au lieu de tissus synthétiques ou de coton, il y aura des draps de lin et de chanvre (le coton disparaît sans la chimie industrielle, dont il dépend pour les pesticides). Une grande utilisation sera faite du cuir, de la laine et de la fourrure, cette dernière étant déjà essentielle pour votre survie. A la place des moteurs thermiques, vous aurez l’énergie musculaire animale ou humaine. Alors que les produits pharmaceutiques auront en grande partie disparu, tout le monde sera occupé à la cueillette et à la culture de plantes médicinales et pratiquera des thérapies préventives. Un exercice favorable pour tuer les virus est une séance de sauna, puis on se roule dans la neige ou on plonge dans un trou dans la glace.
Les métaux seront les seuls vestiges de l’industrialisme ayant encore un usage répandu. Il n’y a aucune limite pratique à la quantité de ferraille d’acier non trempé qui sera disponible à partir des ruines industrielles, assez pour garder tous les forgerons (d’une population beaucoup plus petite et très dispersée) occupés pour des milliers de générations. Le cuivre restera un produit très prisé, car il peut être travaillé à froid pour toute sorte de destinations. Là ou les métaux seront rares, des artisans qualifiés vont les travailler avec des outils de pierre.
Cela peut sembler une vie dure, mais toutes les alternatives sont pires. Comme la température moyenne mondiale augmentera de plus de 17ºC, bien au-delà des 2ºC encore galvaudés par les politiciens et leurs tribunaux scientifiques, la plupart des régions intérieures plus au sud seront rendues inhabitables par les vagues de chaleur estivales avec des températures du thermomètre mouillé excédant plus de 35°C. Sans climatisation, de telles températures sont mortelles, et les vagues de chaleur estivales, accompagnées de coupures de courant, vont tuer des villes entières. Les villes côtières périront pour une raison différente : le niveau des océans va augmenter d’au moins 30 mètres, les laissant en permanence sous l’eau. Avec la disparition des glaciers de montagne, des pays entiers qui dépendent de la fonte des glaciers pour l’irrigation, et il y en a beaucoup, mourront de faim. Pour les populations habituées à vivre sur les côtes et à gagner leur vie de la mer, elles devront se déplacer plus à l’intérieur mais cela ne va pas beaucoup aider, à cause de toutes les centrales nucléaires qui vont se retrouver sous l’eau avec leurs piscines de combustible usé encore stocké, produisant des centaines de nouveaux Fukushima qui rendront les océans trop radioactifs pour y pêcher. Et comme le changement climatique se poursuit et s’accélère, tous ces problèmes vont empirer.
Mais à ce moment là, vous habiterez à proximité de l’un des principaux fleuves eurasiens ou nord-américains qui coulent vers l’océan Arctique, la Lena, l’Ob, le Ienisseï ou le McKenzie. Vous êtes assez haut au-dessus du niveau de l’océan qui va monter rapidement, et loin de tout le reste, y compris des grands centres de population toujours bondés qui vont se préparer à traverser un épisode d’extinction de masse. Si les étés deviennent trop chauds ou trop secs, vous pourrez vous déplacer plus loin en aval, près du cercle polaire arctique, où les conditions seront plus fraiches et humides. Pendant tout ce temps, vous pourrez améliorer votre pratique de la panoplie de technologies proches de la nature, dont une partie n’a pas beaucoup changé depuis que le paysage que vous occupez aujourd’hui a été originellement colonisé, il y a des milliers d’années. En été, l’océan Arctique, désormais libre de glace, et donc navigable, permettra aux survivants de l’humanité de rester en contact.
Mais pour rendre réel ce meilleur scénario possible, dans un environnement désormais garanti comme le pire, vous aurez besoin de plus qu’un simple déménagement et d’une adaptation réussie. Ce qui a conduit la planète au bord d’un abîme environnemental, c’est une culture particulière et le système économique associé, qui adore la poursuite aveugle du profit et de la croissance à tout prix. Cette culture, basée sur la rapine et le pillage, si on la laisse persister, va conduire la planète au bord de l’abîme, y piégeant les personnes survivantes et les conduisant vers l’extinction. Est-ce qu’on peut arrêter cela ? Voilà ce que nous allons examiner dans le prochain post.
Traduit par Hervé, édité par jj, relu par Literato pour le Saker Francophone