mardi 21 juillet 2015

Donc, vous dites que vous ne voulez pas de révolution ?

[So you say you don't want a revolution?]

Au cours des derniers mois, nous avons été forcés de témoigner sur une farce humiliante qui se déroule en Europe. La Grèce, qui avait d’abord été acceptée dans l’Union monétaire européenne sous de faux prétextes, aux prises avec des niveaux excessifs de dette, puis paralysée par l’imposition de l’austérité, a finalement fait quelque chose : les Grecs ont élu un gouvernement qui a promis de faire bouger les choses. La plate-forme du parti Syriza avait fait les promesses suivantes, qui étaient tout à fait révolutionnaires dans leur esprit.

• Mettre un terme à l’austérité et remettre l’économie grecque sur le chemin de la reprise.
• Augmenter la taxe sur le revenu à 75% pour tous les revenus de plus de 500 000€, adopter une taxe sur les transactions financières et une taxe spéciale sur les produits de luxe.
• Réduire radicalement les dépenses militaires, fermer toutes les bases militaires étrangères sur le sol grec et se retirer de l’Otan. Mettre fin à la coopération militaire avec Israël et soutenir la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967.
• Nationaliser les banques.
• Adopter des réformes constitutionnelles visant à garantir le droit à l’éducation, les soins de santé et l’environnement.
• Tenir des référendums sur les traités et autres accords avec l’Union européenne.

Parmi ceux-ci, seul le dernier point a été réalisé : on a eu droit à un référendum qui a exprimé un retentissant «Non!» à l’UE à la demande de plus d’austérité et du démantèlement et de la vente d’actifs publics grecs. Mais peu a été finalement fait car les résultats de ce référendum ont été ignorés.

Mais les problèmes ont commencé avant cette date. Après avoir été élus, les représentants de Syriza sont allés à Bruxelles pour négocier. Les négociations se sont déroulées généralement comme ceci : Syriza faisait une offre ; les fonctionnaires de l’UE la rejetaient, et faisaient progresser leurs propres revendications pour plus d’austérité ; Syriza faisait une autre offre, et les fonctionnaires de l’UE la rejetaient de nouveau et faisaient progresser leurs propres exigences pour encore plus d’austérité que lors du dernier tour ; et ainsi de suite, tout au long du processus jusqu’à la capitulation grecque. Tout ce que les fonctionnaires de l’UE avaient à faire pour forcer les Grecs à capituler, c’était d’arrêter le flux d’euros vers les banques grecques. Quels révolutionnaires ! Ça donnait l’impression d’un caniche qui essaye de négocier pour avoir un peu plus de croquettes dans son plat, si son maître le veut bien. Stathis Kouvelakis (un membre de Syriza) résume la position du gouvernement grec: «Voici notre programme, mais si nous constatons que sa mise en œuvre est incompatible avec le maintien de l’euro, nous l’oublierons.»

Ce n’est pas comme si les révolutions ne se produisaient plus. Oublions la Grèce, parlons juste d’un autre pays où il y a une révolution plutôt réussie qui se déroule pendant que nous parlons : ce qui était le nord de l’Irak et la Syrie est maintenant contrôlé par le régime révolutionnaire diversement connu sous les noms d’ISIS / ISIL / Daesh / califat islamique. Nous pouvons dire que c’est une véritable révolution en raison de son utilisation de la terreur. Tous les révolutionnaires dignes de ce nom utilisent la terreur et ce qu’ils disent généralement, c’est que leur terreur est une réponse à la terreur de l’ordre préexistant qu’ils cherchent à renverser, ou la terreur de leurs ennemis contre-révolutionnaires. Et par terreur, je veux dire assassinat de masse, expropriation, exil et prise d’otages.

Juste pour que vous me compreniez bien, permettez-moi de souligner d’emblée que je ne suis pas un révolutionnaire. Je suis un observateur et commentateur sur toutes sortes de choses, y compris les révolutions, mais je choisis de ne pas y participer. Restant un observateur et un commentateur, je suis supposé rester en vie, et mon programme de longévité personnelle appelle à ne pas être trop proche d’une révolutions parce que, comme je viens de le mentionner, les révolutions impliquent d’assassiner en masse.



Bon vieil oncle Jo. Les enfants l’aimaient.

Dans le cas de la révolution française, ça a commencé avec Liberté-Egalité-Fraternité puis on a rapidement commencé à guillotiner. La révolution russe de 1917 reste l’étalon-or pour les révolutions. Là, grâce à l’oncle Jo, ce qu’on appelé la terreur rouge a continué, encore et toujours, faisant des millions de morts. Mao et Pol Pot font également partie de ce panthéon révolutionnaire. La révolution américaine ne fut pas du tout une révolution, parce que les esclavagistes, sponsors génocidaires de la piraterie internationale sont restés au pouvoir sous la nouvelle administration. En février 2014, le putsch en Ukraine n’a pas non plus à être considéré comme une révolution ; ce fut un renversement violent du gouvernement légitime, imposé de l’extérieur, et l’installation d’un régime fantoche géré par les Américains ; mais, comme dans les colonies américaines, le même gang de voleurs, les Ukrainiens oligarques, continue de voler ce pays aveugle comme avant. Mais si les voyous nazis de Secteur droit prenaient le dessus et tuaient les oligarques, les représentants du gouvernement à Kiev et leurs donneurs d’ordres du département d’État des États-Unis / CIA / Otan, pour ensuite procéder à une campagne de terreur brune dans tout le pays, alors je pourrais commencer à appeler cela une révolution.

* * *


Le fait d’assassiner en masse n’est pas automatiquement la marque d’une révolution : vous avez juste à noter qui va se faire tuer. Si les morts se composent en majorité de bénévoles, de recrues, de mercenaires, ainsi que de beaucoup de civils ordinaires, cela ne fait pas une révolution. Mais si les morts comprennent un bon nombre d’oligarques, des PDG de grandes entreprises, des banquiers, des sénateurs, des membres du Congrès, des fonctionnaires, des juges, des avocats d’affaires, des officiers militaires de haut rang, alors, oui, ça commence à ressembler à une véritable révolution.

En plus de grosses flaques de sang jonchées de cadavre de hauts représentants de l’ancien régime, une révolution exige aussi une idéologie, pour corrompre et pervertir. En général, l’idéologie que vous avez est celle qui vous a servi à faire la révolution. Il va de soi que si vous ne disposez pas d’une idéologie, ce n’est pas vraiment une révolution. Par exemple, les colons américains en 1775 n’avaient aucune idéologie, seulement quelques exigences. Ils ne voulaient pas payer des impôts à la couronne britannique ; ils ne voulaient pas entretenir les troupes britanniques ; ils ne voulaient pas de limites à la traite des esclaves ; et ils ne voulaient pas de restrictions sur les profits de la piraterie en haute mer. Cela ne fait pas une idéologie ; c’est juste une simple et vieille histoire de cupidité. Avec les révolutionnaires ukrainiens, leur idéologie revient à quelques déclarations très basiques, «l’Europe est merveilleuse» et «Russes, allez vous faire f…». Cela ne vaut pas une idéologie en soi ; le premier point est un vœu pieux ; le second, une simple bigoterie.

Prenons l’exemple de ISIS / ISIL / Daash / califat islamique : ils sont islamistes, et l’idéologie qu’ils corrompent et pervertissent est l’islam, avec sa loi de la charia. Comment ? Les lettrés de l’Islam ont beaucoup aidé avec ce top-ten des arguments compilés ici :

• Il est obligatoire de considérer les Yézidis. comme des Gens du Livre.
• Il est interdit dans l’islam de refuser aux femmes leurs droits.
• Il est interdit dans l’islam de forcer les gens à se convertir.
• Il est interdit dans l’islam de défigurer les morts.
• Il est interdit dans l’islam de détruire les tombes et tombeaux des prophètes et des compagnons.
• Il est interdit dans l’islam de nuire ou de maltraiter des chrétiens ou des Gens du Livre.
• Le djihad dans l’islam est une lutte purement défensive. Il est interdit sans une bonne cause, un but clair et de bonnes règles de conduite.
• Il est interdit dans l’Islam de tuer des émissaires, des ambassadeurs et des diplomates – de plus, il est interdit de tuer les journalistes et les travailleurs humanitaires.
• La loyauté envers son pays est permise par l’islam.
• Il est interdit dans l’islam de déclarer un califat sans consensus de tous les musulmans.

Mais, comme le dit la célèbre formule de Lénine: «Si vous voulez faire une omelette, vous devez être prêt à casser quelques œufs.» Et si vous voulez faire une révolution, alors vous devez être prêt à pervertir votre idéologie. Ces lettrés islamistes qui s’exclament avec impatience «Cela n’est pas l’islam ! L’islam est une religion de paix et de tolérance» ont raté ce point : l’idéologie de ISIS / ISIL / Daesh / califat islamique est encore l’islam mais un islam révolutionnaire.

L’exemple de l’ISIS / ISIL / Daash / califat islamique est connecté au sujet de la Grèce, parce que c’est un exemple contemporain de ce qu’est vraiment une révolution, et elle se déroule dans un pays proche de la Grèce. Mais l’idéologie de Syriza n’est pas l’islam, c’est le socialisme et, philosophiquement, ses membres sont marxistes. Donc un meilleur exemple à suivre pour Syriza serait d’arrêter soudainement d’être les caniches pathétiques de l’Europe et d’endosser le manteau des intrépides révolutionnaires héroïques, ceux qui ont fait la bonne vieille révolution russe de 1917.

* * *


Comme je l’ai mentionné, l’un des outils les plus importants de la révolution est la terreur. En Russie, la terreur révolutionnaire a été appelée la terreur rouge, qui, selon les révolutionnaires, se pose en opposition à la terreur blanche du régime impérial russe, avec son fanatisme raciste (les juifs n’étaient acceptés dans aucune grande ville), ses nombreuses formes d’oppression, certaines majeures, d’autres rampantes, et une corruption endémique. Une caractéristique intéressante de la révolution russe est que la terreur a commencé plusieurs années avant l’événement.

Arrêtons-nous un instant pour nous demander pourquoi la terreur révolutionnaire est nécessaire. Une révolution est un changement radical dans la direction de la société. Laissée seule, la société tend à aggraver ses pires tendances au fil du temps : les riches deviennent plus riches, les pauvres plus pauvres, la police devient plus oppressante, le système judiciaire devient plus injuste, le complexe militaro-industriel produit du matériel militaire toujours moins efficace pour toujours plus d’argent, et ainsi de suite. C’est une question d’inertie sociale : la tendance des objets est de voyager en ligne droite en l’absence d’une force agissant de biais par rapport à la direction de son mouvement. La formule pour cette quantité de mouvement est :

p = mv


p est la quantité de mouvement, m est la masse et v la vitesse.

Pour opérer un changement de cap radical, les révolutionnaires doivent appliquer une force luttant contre l’inertie sociale. Pour rendre cela possible avec leurs moyens limités, ils peuvent faire deux choses: réduire v, ou réduire m. Réduire v est une mauvaise idée : la révolution ne doit pas perdre son propre élan. Mais la réduction de m est, de fait, une bonne idée. Maintenant, il se trouve que, en ce qui concerne la dynamique sociale, la plus grande partie de la masse qui lui donne corps réside dans les têtes de certaines catégories de personnes : les responsables gouvernementaux, des juges et des avocats, des policiers, des officiers militaires, des gens riches, certains types de professionnels et ainsi de suite.

Le reste de la population pose beaucoup moins de problèmes. Supposons que certains révolutionnaires démontrent que

• ils n’ont pas à se soucier de payer des impôts (parce les biens des riches seront confisqués)
• la médecine et l’éducation sont maintenant libres
• ceux qui ont des dettes peuvent cesser de payer et deviennent automatiquement propriétaires de leurs biens immobiliers de façon unilatérale
• les locataires sont maintenant automatiquement propriétaires de leur lieu de résidence
• les employés sont automatiquement actionnaires majoritaires dans leurs entreprises
• ils doivent remplir une demande s’ils veulent une parcelle gratuite (nouvellement libérée) de terre à cultiver
• il y a une amnistie générale et leurs proches qui ont été enfermés reviennent à la maison
des cartes de rationnement sont émises pour s’assurer que personne n’aura plus jamais faim
les sans-abri vont pouvoir s’installer chez ceux dont les résidences sont considérées comme indûment spacieuses
• ils sont maintenant leur propre police et sont chargés de patrouiller dans leurs quartiers avec les gardes révolutionnaires disponibles en secours, et si des autorités non révolutionnaires, qu’elles soient les anciens policiers ou les anciens propriétaires, venaient déranger l’un d’eux, alors ces traîtres et ces imposteurs feraient face à la justice révolutionnaire expéditive, sur place.

La plupart des gens ordinaires penseraient que c’est une très bonne affaire. Toutefois, les représentants du gouvernement, de la police, des officiers militaires, les juges, les procureurs, les gens riches dont les biens doivent être confisqués, les mandataires sociaux et les actionnaires, ceux qui vivent sur les grasses retraites d’entreprise ou du gouvernement, etc., penseraient sans doute autrement. La solution révolutionnaire est de les prendre en otage, les envoyer en exil, et, pour faire un exemple sur les plus récalcitrants, les tuer. Cela réduit considérablement m, permettant aux révolutionnaires d’effectuer des changements drastiques sur le cours des choses alors même que v augmente. J’ai compilé cette liste parce qu’elle serait très facile à vendre, comme une confiserie, une évidence. Mais je manque du désir incontrôlable de casser des œufs et de l’appétit insatiable pour les omelettes. Comme je le disais, je ne suis pas un révolutionnaire, juste un observateur.

Dans la perspective de la révolution russe, de 1901 jusqu’à 1911, il y eu 17 000 de ces victimes. En 1907, le nombre moyen était de 18 personnes par jour. Selon les registres de la police, entre février 1905 et mai 1906, il y avait parmi les personnes tuées :

• 8 gouverneurs
• 5 vice-gouverneurs et autres administrateurs régionaux
• 21 chefs de police, chefs de municipalités et gardiens
• 8 officiers de police de haut rang
• 4 généraux
• 7 officiers militaires
• 79 huissiers de justice
• 125 inspecteurs
• 346 agents de police
• 57 gendarmes
• 257 agents de sécurité
• 55 membres du personnel de service de la police
• 18 agents de sécurité de l’État
• 85 employés du gouvernement
• 12 membres du clergé
• 52 agents ruraux du gouvernement
• 52 propriétaires fonciers
• 51 propriétaires et gestionnaires d’usines
• 54 banquiers et hommes d’affaires



Bonne vieille Zinka
Institutrice, révolutionnaire, assassin

De toute évidence, ces actes terroristes doivent avoir eu un effet non négligeable dans l’adoucissement de la cible, ce qui rend le gouvernement plus facile à renverser. Ce ne fut pas un accident, mais une question de politique révolutionnaire bien articulée. Le concept de terreur rouge a été introduit par Zinaida Konoplyannikova, une institutrice rurale qui, fut la première sur le radar de la police pour être athée, elle a plus tard été reconnue coupable de terrorisme pour le meurtre d’un général-major bien connu, à bout portant. Lors de son procès en 1906, elle a dit ceci : «Le Parti [socialiste-révolutionnaire] a décidé de contrer la terreur du gouvernement blanc, vraiment sanglant, par la terreur rouge…» Elle a été exécutée par pendaison la même année, à l’âge de 26 ans .

Après la révolution, la terreur rouge est devenue la politique du gouvernement. Voici la réponse de Lénine, interrogé par les membres du parti communiste à propos de ses méthodes barbares: «Je raisonne sobrement et de façon catégorique : qu’est ce qui est mieux ? Emprisonner quelques dizaines ou centaines de provocateurs, coupables ou innocents, agissant consciemment ou inconsciemment, ou perdre des milliers de soldats et de travailleurs ? La première solution est la meilleure. Qu’ils m’accusent de tous les péchés mortels et violations de liberté, je plaide coupable, mais que les intérêts des travailleurs gagnent.»



Grand-père Lénine chantant une mélodie,
Grandpa Trotsky jouant avec fougue de l’accordéon

Trotsky a produit une définition particulièrement croustillante de la terreur rouge. Il l’appelle «une arme à utiliser contre une classe sociale qui a été condamnée à l’extinction, mais ne veut pas mourir».

Les estimations du nombre exact des victimes de la terreur rouge varient. Robert Conquest a affirmé qu’entre 1917 et 1922, les tribunaux révolutionnaires ont exécuté 140 000 personnes. Mais l’historien O.B. Mozokhin, après une étude exhaustive des données disponibles dans les archives du gouvernement, n’en a pas trouvé plus de 50 000. Il a également noté que les exécutions étaient l’exception plutôt que la règle, et que la plupart des personnes exécutées ont été condamnées pour des actes criminels plutôt que politiques.

Mais ce ne fut rien en comparaison de ce que Staline a déclenché plus tard. Le fondement idéologique de la terreur stalinienne était «l’intensification de la lutte de classe pour l’aboutissement de la construction du socialisme», qu’il articule au plénum du Comité central en juillet 1928. Selon sa logique, l’URSS était économiquement et culturellement sous-développée, entourée par des États capitalistes hostiles, et tant qu’il restait la menace d’une intervention militaire étrangère dans le but de rétablir l’ordre bourgeois, seule la destruction préventive des restes des éléments bourgeois pourrait garantir la sécurité et l’indépendance de l’URSS. Ces éléments comprenaient des policiers, des responsables gouvernementaux, le clergé, les propriétaires fonciers et les anciens hommes d’affaires. Le pic de la répression stalinienne a eu lieu en 1937 et 1938. Au cours de ces deux années 1 575 259 personnes ont été arrêtées, dont 681 692 ont été abattues.

Vous pouvez être pardonné en voyant en Staline un meurtrier psychopathe, parce qu’il l’était certainement, mais plus important encore, il était un chef compétent, et suffisamment impitoyable, pour prendre la tête d’un État révolutionnaire. Pour un régime révolutionnaire, tuer trop de gens est rarement un problème, mais en tuer trop peu peut facilement se révéler fatal. Pour jouer la sécurité, un révolutionnaire doit toujours pencher du côté de l’assassinat. Cette attitude tend à envahir toute la pyramide du pouvoir : si vous donnez à Staline un mémorandum recommandant que 500 prêtres soient fusillés, Staline va rayer 500 au crayon et mettre 1000 en rouge, alors il vaut mieux trouver 500 autres prêtres à tuer, ou le nombre deviendra 1001, avec vous compris.

Cette garantie de la sécurité et de l’indépendance semble tenir la route. Après tout, il y a une invasion subséquente par un État bourgeois capitaliste hostile (Allemagne en 1941) et l’ordre bourgeois a été temporairement rétabli sur les territoires occupés. Mais il ne restait plus personne pour inciter à la rébellion contre-révolutionnaire, ailleurs en URSS, parce que la plupart des prétendus contre-révolutionnaires étaient morts.

Bien sûr, cela a pris la forme d’un terrible tribut pour la société. Voici ce que Poutine avait à dire au sujet de la terreur rouge :

Pensez aux otages qui ont été abattus pendant la guerre civile, la destruction de la totalité des strates sociales des membres du clergé, des paysans prospères, des Cosaques. Ces tragédies sont récurrentes dans l’histoire de l’humanité. Et ces idéaux initialement séduisants mais finalement vides, finissent toujours par être élevés au-dessus de la valeur principale, la valeur de la vie humaine, au-dessus des droits et des libertés de l’homme. Pour notre pays, ce fut particulièrement tragique, parce que l’échelle était colossale. Des milliers, des millions de personnes ont été détruites, envoyées dans des camps de concentration, tuées, torturées à mort. Et celles-ci étaient principalement des gens qui avaient leurs propres opinions, qui n’avaient pas peur de les exprimer. C’étaient les personnes les plus efficaces, la fleur de la nation. Même après de nombreuses années, nous sentons l’effet de cette tragédie sur nous-mêmes. Nous devons faire beaucoup, de sorte que ce ne soit jamais oublié.

Étant donné que le prix est si élevé, ce serait peut-être mieux après tout, si nous étions juste assis tranquillement, autorisant les riches à devenir plus riches tandis que les pauvres deviennent plus pauvres, regardant nonchalamment l’environnement complètement détruit par les industriels capitalistes dans leur poursuite aveugle du profit, et éventuellement recroquevillés sur nous même, pleurant sur notre sort pour un au-revoir avant de mourir ? Bonne chance pour vendre cette idée aux jeunes têtes brûlées radicalisées qui n’ont rien à perdre, sauf peut-être vous, si vous arrivez à vous mettre en travers de leur chemin pendant qu’ils changent le monde ! Non, la révolution est là pour rester, et l’une de ses principales armes est la terreur. Peu importe la façon dont nous nous souvenons, l’anéantissement des éléments contre-révolutionnaires sociaux est amené à se reproduire.

* * *


Pour en revenir à la Grèce et à Syriza : si ce parti n’était pas seulement une version particulièrement mielleuse de caniche pro-UE mais un parti révolutionnaire réellement honnête, prêt à faire ce qu’il faut ? Comment pourrait-il agir différemment ? Et quel serait le résultat ?

Eh bien, une chose qui vient à l’esprit immédiatement est qu’ils ne devraient pas essayer de rester dans une zone Euro qu’ils chercheraient à détruire. La solution est simple : pas de zone Euro, pas de dette en Euro, pas de problèmes. Il y a un principe général implicite : ne jamais accepter la responsabilité de ce que vous ne pouvez pas contrôler. Parlant d’expérience, supposons que vous invitiez un plombier pour réparer vos toilettes, et que le plombier constate que les toilettes ont été bricolées de multiples façons par un amateur incompétent. Dans cette situation, le geste professionnel à faire pour le plombier est de supprimer complètement ces toilettes. Maintenant, la solution devient simple : installer de nouvelles toilettes.

Voici une ou deux choses faciles que la Grèce pourrait avoir enclenchées à la place de vaines tentatives de négociation :

1. Annoncer immédiatement un moratoire sur tous les remboursement de la dette, en prenant comme position que la Grèce n’a pas de créanciers légitimes au sein de la zone euro, tout n’étant que fraude financière au plus haut niveau. Après quelques mois, les fausses entités financières de renflouement qui transforment magiquement les dettes pourries de la zone euro en titres notés AAA (car elles sont garanties par les gouvernements de la zone euro) seraient obligées de radier la dette grecque. En retour, les gouvernements de la zone euro, très affaiblis, rechigneraient au refinancement de leurs budgets nationaux, montrant au monde que leurs garanties ne valent pas le papier sur lequel elles sont écrites. Il s’en suivrait une implosion obligataire. Peu de temps après, l’euro disparaîtrait, et avec lui, toute la dette de la zone euro.

2. Lancer l’impression d’Euros sans l’autorisation de la banque centrale européenne. En cas d’accusation de faux, il faudrait rendre la falsification plus difficile à détecter en changeant la lettre à l’avant du numéro de série de Y (pour la Grèce) à X (pour l’Allemagne). Puis inonder la Grèce et le reste de la zone euro avec ces billets théoriquement faux (mais techniquement parfaits). Comme la valeur de l’euro dégringolerait, instituer un rationnement de la nourriture et émettre des cartes de rationnement. Convertir finalement les euros maintenant dévalués et avilis en une drachme récemment réintroduite et rétablir des liens commerciaux avec les anciens pays désormais libérés de la zone euro en utilisent les accords commerciaux basés sur le troc et les swaps de devises locales avec des réserves d’or utilisées pour corriger les déséquilibres mineurs.

Est-ce que cela serait possible sans terreur rouge ? J’en doute. La Grèce est très contrôlée par l’oligarchie ; même le célèbre ancien ministre des finances Yanis Varoufakis est le fils d’un magnat industriel. Les oligarques grecs et les riches auraient dû être arrêtés et détenus en otages. De nombreuses personnes au sein du gouvernement et dans l’armée ont une allégeance à géométrie variable, ils travaillent pour l’Europe, pas pour la Grèce. Ils auraient dû être licenciés immédiatement et détenus au secret, en résidence surveillée au minimum. Sans doute les services spéciaux étrangers auraient-ils sévi, cherchant par tous les moyens à saper le gouvernement révolutionnaire. Cela aurait amené à des mesures préventives drastiques pour éliminer physiquement des espions et des agents étrangers avant qu’ils puissent avoir une chance d’agir. Et ainsi de suite. Mais ce n’est pas un travail pour des mini-caniches mielleux. Comme Staline l’a dit fort justement, «les cadres sont la clé de tout». Vous ne pouvez pas faire la révolution sans révolutionnaires.

Mais est-ce un travail pour quelqu’un ? N’importe qui ? Je laisse cette question ouverte, comme exercice pour le lecteur.

Traduit par Hervé, relu par jj pour le Saker Francophone